mardi 27 mars 2007

Hawanar Berimi : un homme

Il a 50 ans, il se lance pour la première fois dans une aventure dans le monde des peintres. Seul dans sa chambre, il s’assoit sur un petit tabouret, prend le pinceau entre ses doigts avec douceur et soin, comme s’il tenait son futur entre ses mains. Ensuite il le plonge dans le pot de peinture. Ses yeux bleu océan, éclat de ciel, se noient dans cette rivière de peinture. Puis il les retire, reprend le pinceau, et sur un papier noir, dessine des taches de toutes les couleurs, des taches qui redonnent la vie à ce papier du malheur pour le transformer en un tableau du bonheur.

Il a 25 ans, il pleure pour la première fois, prend ses amis entre ses bras, les embrasse. Puis il s’approche de sa femme, la prend entre ses bras, sa main caresse une de ses joues, puis approche ses lèvres des lèvres de sa femme, et sent des flammes de tendresse, d’amour qui brûlent les siennes, des flammes qui lui disent de ne pas aller. Ensuite il se retourne et, des larmes qui brûlent sa peau s’écoulaient de ses yeux. Derrière lui des yeux le suivaient du regard, des yeux qui lui supplient de rester. Mais il continue son chemin, en n’ayant dans la tête que le mot : « c’est le temps de partir pour combattre les ennemis ».

Il a 18 ans, il fait pour la première fois l’amour. Il allonge son corps au dessus du corps de l’aimée toute nue, caresse chaque coin de son corps en sentant la chaleur qu’elle délivre. Ses yeux sont enflammés par des flammes d’amour, il pose ses lèvres sur celles de l’aimée, l’embrasse, lui offre tout son amour, lui donne son corps et lui dit : « il est à toi ! ».

Il a 59 ans, il revient après un long voyage. Habillé en soldat, il a l’air fatigué, son visage porte de traces de sang. Il frappe à la porte de sa maison, personne ne lui ouvre ; il commence à crier de sa voix fatiguée, mais personne ne lui répond. Il se retourne et marche d’un pas lourd sur la route, en n’arrivant plus à porter son corps, il a mal partout, il souffre. Soudain il tombe tout droit sur la route, c’est la première fois qu’il n’arrive plus à marcher.

Il a 60 ans, il est encore à l’hôpital, le médecin vient lui annoncer qu’il est atteint par le cancer des poumons. Mais il ne perd pas espoir. La nuit, il quitte son lit d’hôpital, ouvre la porte avec une douceur pour que personne ne s’aperçoive de sa fuite. Puis se précipite devant sa maison, prend un papier déchiré qu’il avait trouvé en marchant, et écrit avec les gouttes de sang qui s’écoulent de son corps : « ADIEU ».

Il a 15 ans, il se fâche contre ses parents, les insulte, leur parle d’un ton féroce ; sa mère le gronde, son père le gifle. Sa joue prend les traces de la main de son père, il sort en claquant la porte de la maison. La nuit, il s’allonge sur la route, et dort comme un enfant des rues. Le lendemain il revient et présente ses excuses… mais c’est trop tard, sa mère était morte…Elle s’est tuée avec un pistolet quand elle n’a plus retrouvé son fils.

Il a 84 ans, il est atteint par une crise cardiaque, son visage devient pâle, ses yeux se sèchent, ses mains deviennent fragiles, il ne respire plus, sa voix disparaît. La mort l’a totalement dévoré.

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Consignes

  • "Un homme" ou "une femme" : portrait d'un homme ou d'une femme qui compte, en reprenant à Claude Simon (Les Géorgiques) le principe d'un "il" ou d'un "elle" associé au présent, sans souci de chronologie : restituer plutôt dans l'ordre que nous livre la mémoire ou la concentration, livrer une série de faits et gestes suspendus dans le temps de cette personne devenant personnage.

  • "Celui qui / celle qui" : à partir du chant IV d'Exil de Saint-John Perse, inventorier ceux qui comptent dans sa propre généalogie, en une seule phrase où l'on dit ce qui chez eux retient.

  • "Tu" : à partir du prologue de Lambeaux de Charles Juliet : à travers un "tu" et le présent, essayer de saisir ou reconstruire l'attitude, la présence au monde, les pensées, en plusieurs scènes (lieux et instants précis), d'une personne qui nous importe mais nous est difficilement accessible.

  • "Lieux où l'on a dormi" : à partir d' Espèces d'espaces de Georges Perec : inentaire des lieux où l'on a dormi, avec développements possibles de détails...
Pistes développées et explicitées par François bon dans Tous les mots sont adultes.